Clin d’oeil de mai 2016
Ce mois-ci, ne prenez pas la mouche, pas d’orthographe, je vous parle de ces drôles d’expressions qui surgissent au détour d’une conversation, familières et pourtant mystérieuses. Vous êtes-vous déjà interrogés sur l’origine de ces petites phrases qui colorent notre langage ?
Sans vouloir faire des pieds et des mains, j’en évoquerai quelques-unes tout en ménageant la chèvre et le chou pour vous éviter d’être au bout du rouleau en vous faisant un sang d’encre, pensant que c’est la fin des haricots et qu’on n’est pas sorti de l’auberge ! Et je ne ferai pas de quartier !
Faire des pieds et des mains – Très imagée, elle était employée au 18e siècle avec le verbe aller ou travailler pour signifier la volonté de faire son maximum, quitte à utiliser non seulement ses mains mais aussi ses pieds.
Ménager la chèvre et le chou – Elle est tirée d’une énigme, contée au 13e siècle aux enfants pour les amener à réfléchir : un homme doit traverser la rivière avec son chou, sa chèvre et son loup, mais il ne peut emmener avec lui dans sa très petite barque qu’une seule chose a la fois. On comprend vite que le loup ne peut pas rester seul avec la chèvre ni la chèvre seule avec le chou. L’homme traverse donc avec sa chèvre, puis revient chercher son chou qu’il dépose sur l’autre rive en ramenant sa chèvre. Il embarque alors le loup puis revient chercher sa chèvre. Ainsi les nombreux allers-retours symbolisent la pensée hésitante de celui qui ne prend pas position, cherchant à satisfaire chacun des protagonistes d’une situation.
Être au bout du rouleau – Au 14e siècle, alors que les livres n’existaient pas encore, on utilisait un bâton de buis ou d’ivoire pour y enrouler des feuilles collées bout à bout appelées rôles. Au 17e siècle, les dialogues des acteurs de théâtre étaient écrits sur ces fameux rôles. Lorsqu’une personne avait peu de texte dans une pièce, on appelait cela un rôlet. Ainsi apparaît l’expression « être au bout de son rôlet » pour désigner celui qui n’a plus rien à dire et se trouve démuni. Le mot se transformera en rouleau au 19e siècle.
Se faire un sang d’encre – L’expression remonte au Moyen-âge, alors que les médecins considéraient que l’état général du corps et de l’esprit avait un lien avec le sang et pratiquaient volontiers la saignée. Un sang trop foncé était alors signe de « déséquilibre des humeurs », donc d’inquiétude.
C’est la fin des haricots – La référence date du 18e siècle où les marins consommaient leurs vivres sur les navires par ordre de péremption. D’abord les produits frais, puis les produits salés ou fumés et enfin les haricots secs. Quand ces derniers venaient à manquer, l’équipage ne pouvait plus survivre longtemps sans rejoindre les côtes et se ravitailler.
On n’est pas sorti de l’auberge – C’est assez sordide, la phrase nous vient d’un fait divers du milieu du 19e siècle qui se déroula dans la fameuse « Auberge rouge », en Ardèche, témoin d’une série de crimes. Expression forcément dramatique !
Pas de quartier ! Celle-ci n’est pas mal non plus : la Piraterie l’employait lors de l’assaut d’un navire pour signifier qu’elle n’accepterait aucun « quartier » (à l’époque, une somme d’argent) en échange de la liberté d’un prisonnier. Autrement dit, c’était la mort pour tous.
Prendre la mouche – Quel rapport entre l’insecte et le fait de se mettre en colère ? Pour comprendre il nous faut revenir avant le 17e siècle alors que la mouche désignait différents insectes volants. La « mouche aux bœufs » désignait le taon, on parlait de « mouche à miel » pour l’abeille, ou encore de « mouche à chien » pour la tique. On imagine aisément que la petite bête n’inspirait pas la paix !
Et pour conclure, je ne vous poserai pas un lapin*, je serai encore là le mois prochain… *A suivre !